Mercredi 4 avril à 18h00, Grand salon (E14) au 1er étage du 18 rue Chifflet, UFR SLHS.

Laurence Dahan-Gaida,

L’imagination diagrammatique entre science et littérature.

Depuis les années 1980, les recherches croisées entre littérature et sciences ont connu un développement significatif, sous l’impulsion des historiens des sciences mais surtout des littéraires. Se plaçant généralement au plan des discours, les recherches dans ce domaine privilégient deux voies : soit qu’elles s’intéressent à l’usage que les textes littéraires font du discours scientifique, soit qu’elles examinent les « technologies littéraires » mises en jeu par les sciences en tant que supports d’une « poétique » ou d’une « rhétorique » des sciences. Il s’agira ici d’explorer une autre avenue, relativement négligée qui, plutôt que d’étudier les emprunts ou les influences entre les deux domaines, tente plutôt de cerner un terrain commun, en postulant l’usage de ressources intellectuelles communes à la science et à la littérature dès qu’on les aborde sur le versant de la créativité : expériences de pensée, modèles, diagrammes, imagerie mentale, etc.

[Philippe de Jonckheere, artiste (1964-), Sans titre, extrait du site Désordre, 2005, collection particulière]
Philippe de Jonckheere, Sans titre, extrait du site Désordre, 2005, collection particulière.

Dans ce contexte, je m’intéresserai plus particulièrement à l’imagination diagrammatique telle qu’elle a été théorisée par Charles Sanders Peirce et Gilles Châtelet. Les deux auteurs ont montré que le diagramme était un véhicule de la pensée naissante : loin d’illustrer le déjà là, il incarne le mouvement à travers lequel une idée se cherche et finit par se formaliser dans une figure. Tirant tout son dynamisme d’une co-pénétration de l’image et du calcul, il représente un effort de visualisation dont le caractère heuristique le rapproche de la métaphore ou de l’expérience de pensée, également sites des significations naissantes. Dès lors, il devient possible d’envisager le diagramme au-delà de son usage instrumental, comme un régime de pensée susceptible de s’investir dans une multiplicité de domaines, où il sert de moteur à l’invention intellectuelle. Cette hypothèse sera mise à l’épreuve de l’écriture de Paul Valéry dans les Cahiers, dont la spécificité est de mêler dessin, écriture et calcul : construite sur deux ordres – rhétorique et géométrique, verbal et iconique – l’écriture valérienne possède, comme on essaiera de le montrer, un caractère diagrammatique qui lui permet d’unir en un système commun la connaissance et l’art.

Cette conférence est organisée dans le cadre du séminaire Philosophie-sciences cognitives-mathématiques, axe Fondements politiques et culturels de l’éducation de la Fédération de recherche EDUC.

Laurence Dahan-Gaida est professeur de littérature comparée et directrice du Centre de Recherches Interdisciplinaires et Transculturelles à l’Université de Franche-Comté. Elle est également directrice du portail Epistemocritique.org consacré à l’étude des rapports entre sciences et littérature. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces questions parmi lesquels : Musil : savoir et fiction, 1994 ; Le savoir et le secret : poétique de la science chez Botho Strauss, 2008 ; Conversations entre la littérature, les arts et les sciences, 2006 ; Temps, rythmes, mesures : figures du temps dans les sciences et les arts, 2012 ; Circulation des savoirs et reconfiguration des idées : perspectives croisées France-Brésil, 2016.

Accès par bus : de l’ESPÉ Montjoux, prendre la ligne 5 et descendre à Granvelle; de l’UFR Sciences, prendre la ligne 3 et descendre à Saint-Maurice.

Organisateurs: Fabien Ferri, Arnaud Macé, Stefan Neuwirth, Sandrine Roux et Carole Widmaier.